C'est par ces termes qu'on m'a parlé de lui, la première fois : le fou du 7°.
On venait pour visiter l'appartement dans lequel nous habitons encore près de 10 ans plus tard et c'est le gardien qui nous l'a dit en passant devant sa porte. ça a le mérite d'être honnête et franc (transparent diraient certains) ; pis ça pose directement le décor : là, c'est le fou du 7° si il fait trop de bruit, vous me le dites, j'ai le numéro de ses infirmiers.
On l'a rencontré dès notre emménagement, il est sorti pendant que nous transportions nos meubles en ouvrant sa porte à la volée, en caleçon et en hurlant : "c'est quoi ce bordel ?!"
On l'a croisé souvent errant dans l'immeuble avec les yeux perdu dans le flou et cet air un peu penché tellement typique de ceux qui ne sont pas vraiment là. Au fil des années et des changements de locataires, il a fini par devenir un élément fixe de notre quotidien, une sorte de repère.
Quelque part, on jetait toujours un œil sur lui dans les situations de crises pour voir comment il gérait : comme la fois, où on a été évacué à cause d'un coup de pelleteuse malencontreux dans une conduire de gaz et où il avait été jeté sur le parking en chaussons et peignoir, l'air totalement absent... Ou encore comme l'an passé, pendant les démolitions où il pensait que c'était la guerre.
C'était un peu comme l'idiot du village, c'était notre idiot de l'immeuble en quelque sorte.
A l'usage du temps, on s'était habitué à ses excentricités comme sa façon d'insulter "Marie-Jeanne" en parlant à un couloir vide, ou sa façon de faire des "offrandes" aux nouveaux locataires en leur déposant, à qui une boîte de haricots verts ou un plat de lasagnes, devant la porte d'entrée ou encore sa manie d'installer des "autels" dans les couloirs avec des photos d'enfants, des fleurs et des bougies...
Par contre, les autres locataires semblaient moins bien s'habituer à lui puisque les malheureux qui s'installaient en face de chez lui ne restaient que rarement plus de 8 mois, le dernier couple ayant simplement fui au bout de 3 mois de location. Faut dire que la dame était une future jeune maman et que lui tambourinait à leur porte en lui demandant d'aller habiter ailleurs parce que c'était un appartement pour un.
Faut dire que quand il entrait dans une de ses crises, il avait tendance à être véhément et à terroriser certaines personnes impressionnables, les enfants avaient peur de passer seuls devant chez lui parce qu'il était capable de sortir dans n'importe quelle tenue en hurlant n'importe quoi à n'importe quel moment.
Bref, ça nous sortait d'une certaine routine, quelque part, on se demandait toujours ce qu'il allait inventer.
Et mine de rien, on avait fini à s'attacher à sa présence.
Ils sont venus le prendre ce soir, 2 policiers en gilet pare-balles et rien de moins que 4 gros balaises d'infirmiers, il est sorti avec son air un peu penché, un peu paumé de d'habitude. Il a pas spécialement fait plus de choses bizarres ces jours-ci qu'un autre jour... Et quelque part, on devine déjà qu'il va comme nous manquer.
Et c'est comme si le quartier changeait doucement pour devenir l'exemple lisse d'une revue de promotion de l'ORU parce que mine de rien, c'était une figure du square, les gamins qui ont grandi ici quand le quartier s'appelait encore ZUP, connaissaient tous mon fou du 7°.
Et je suis presque en droit de me demander quelle est ma place dans le décor polissé qu'on nous plante.
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